De la liberté dans l’éducation

jeudi 1er mars 2007

Pendant onze jours, c’est par mon corps, dans un jeûne, relayant cinq
autres personnes, que j’ai exprimé ma solidarité avec le combat de Roland
Veuillet. J’ai voulu attirer l’attention de tous, et notamment d’un monde
enseignant endormi, sur ce cas emblématique de ce que devient l’éducation
dans notre pays et de la place qu’on veut désormais nous y laisser.

Roland Veuillet, dans ses activités syndicales à Nîmes s’est opposé
- à l’entrée des élus d’extrême droite dans les conseils
d’administration des lycées de la Région (avec la complicité du maire
d’Alès et le silence du personnel, ils ont finalement siégé dans le
mien) ;
- à la mise en place de la PFT (plateforme technologique) intrusion
sournoise des financements et contraintes d’entreprises dont nous
mesurons les dérives aujourd’hui dans mon propre lycée ;
- à la casse du statut des surveillants d’externat et maîtres d’internat
(MI-SE), au cœur du lien avec les élèves dans les établissements
scolaires, aujourd’hui remplacés par des caméras de vidéo-surveillance
et des emplois précaires et sous-payés, demain par des policiers.

Pour ces engagements légitimes, Roland Veuillet a été menacé physiquement,
muté à 300 km de sa famille et récemment interné d’office en hôpital
psychiatrique. Comment expliquer ces attitudes du ministère et de
l’administration à nos élèves sinon en ces termes :

  1. tous les jours, nos enseignements sont marqués par « l’éducation à la
    citoyenneté », « l’apprentissage de la démocratie »… Voici ce qui vous
    menace si vous les prenez au sérieux ;
  2. pour l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme
    « l’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité
    humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des
    libertés fondamentales ». Mais cet article n’est pas valable au sein même
    de l’Éducation nationale.

À nous tous dans les lycées et les collèges qui avons cessé d’utiliser ces
droits qui fondent l’humanité de nos enseignements, quelle crédibilité
nous reste-t-il ? Qu’avons nous à gagner à nous taire et à nous effacer,
alors que progresse la logique froide de l’individualisme, du profit et
que les machines remplacent les humains autour des enfants ? Toutes ces
libertés, tous ces droits que nous n’utilisons pas, nous sont
progressivement retirés, dans l’indifférence et l’apathie. Nos propres
élèves nous regardent chaque jour reculer. Par l’exemple, nous les
éduquons chaque jour à la résignation.

Nous avons besoin de pratiquer la liberté pour éduquer à la liberté. Nous
avons besoin d’éduquer à la liberté pour éduquer à la responsabilité. Tout
nous pousse, aujourd’hui, à maintenir les élèves dans l’infantilisme, à
les appareiller pour les tenir dans la dépendance. Notre liberté est la
condition de notre génie et notre soumission d’aujourd’hui nourrit la
médiocrité d’un système qui plonge nos enfants dans la Misère et l’Ennui.
La liberté était notre sève ; aujourd’hui nous fanons.

Roland Veuillet n’est pas libre et sa sanction est injuste. Je suis
solidaire de son combat parce que nous tenons tous les uns sur les autres,
parce que c’est ce qui nous rend « solides » : ce que l’on fait à l’un de
nous, je sais que c’est à tous qu’on le fait. Après onze jours, j’ai
décidé aujourd’hui de rompre mon jeûne. Onze jours de silence d’un
ministère qui a su nous montrer le peu de cas qu’il fait de nos vies. Avec
des milliers de personnes, je demande toujours l’annulation de la
sanction, la réhabilitation de Roland Veuillet et une enquête
administrative.

Plus que jamais, aujourd’hui, je sais que la mise en pratique de la
liberté et de la solidarité est une lutte quotidienne. Elle reste au cœur
de mon enseignement et de mes rapports avec les élèves.

Jean-Philippe JOSEPH
Professeur agrégé d’Economie-Gestion
Lycée JB Dumas - Alès.

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