Le lycée Dhuoda, un laboratoire du MEDEF dans la fonction publique

2004

Le lycée Dhuoda de Nîmes (Gard) est un établissement public ordinaire. Sauf qu’il n’est pas dirigé par n’importe qui : le proviseur de Haro est une figure nationale d’un grand syndicat des personnels de direction, le SNPDEN, dont il est le responsable académique. De Haro est aussi très proche du recteur de l’académie de Montpellier, Marois, grand ami de Jospin. Deux grosses pointures de gauche, donc, qui s’unissent pour convertir le service public d’éducation nationale au capitalisme le plus sauvage… Cherchez l’erreur !

Le lycée Dhuoda, un laboratoire du MEDEF dans la fonction publique

Deux cavaliers qui surgissent hors de la nuit

Le recteur Marois a un cheval de bataille : il travaille à marier l’Éducation Nationale et l’entreprise. Il veut sceller une alliance, non pas simplement avec quelques artisans ou patrons de PME du coin, mais carrément avec le MEDEF. Il l’explique sans détour dans une belle plaquette imprimée en couleurs (aux frais des contribuables), qu’il co-signe avec le responsable du MEDEF local : l’entreprise est un modèle pour l’école. Efficacité, rentabilité, flexibilité, voilà les valeurs que l’Education Nationale doit, selon lui, transmettre aux élèves, futurs précaires taillables et corvéables à merci. Une telle idéologie s’accompagne de l’apparition, dans la « gestion des ressources humaines » du rectorat, de méthodes dignes des patrons les plus durs. Car les fonctionnaires, pour le MEDEF et ses amis, sont des feignants qui jouissent de privilèges d’un autre âge (sécurité de l’emploi, droit de grève…), et l’école publique pervertit la jeunesse en développant l’esprit critique, ou en affirmant que la loi du plus fort n’est pas une fatalité, et que notre avenir individuel et collectif est à construire, pas à subir. Le recteur va donc faire rentrer, à coups de marteau, « l’esprit d’entreprise » dans le crâne des fonctionnaires de l’éducation... Et des élèves.

Le recteur Marois et son proviseur complice ont également trouvé le cheval de Troie qui permettra (ils l’espèrent), de transformer le lycée Dhuoda en une belle vitrine libérale : la plate-forme technologique (PFT). Dans l’esprit du « lycée des métiers », les PFT permettent au patronat d’intervenir directement dans l’école. Les formations professionnelles sont construites en fonction des besoins immédiats des entreprises locales. Les patrons participent à la définition des contenus d’enseignement, et au choix des machines qui équipent les lycées… machines que les entreprises peuvent venir utiliser. Lorsque les élèves sont en stage, les enseignants accueillent des salariés pour assurer des modules de formation continue (sans aucune rémunération supplémentaire). Des salariés en formation peuvent aussi s’intégrer, ponctuellement, au groupe-classe. Les entreprises utilisent donc les infrastructures, l’équipement, les compétences et le personnel de l’Éducation Nationale… Pour augmenter leurs profits. Utiliser l’école au profit du MEDEF, adapter les enseignements aux contraintes patronales : jolie reconversion pour nos deux hommes « de gauche » !

« Le crime était presque parfait »

Certains syndicats (dont SUD, mais aussi très officiellement le SNES...) s’opposent à ces PFT, qui incitent les élèves à choisir la formation qui recrute LOCALEMENT, au détriment de la formation dans laquelle ils pourraient le mieux s’épanouir. Passant par ces plates-formes, ils n’apprendront que ce qui leur sera nécessaire pour être immédiatement rentables. Elles créent une main-d’œuvre sur mesure, donc vulnérable, et toujours à la merci de l’employeur. Autour des PFT, on voit bien les deux logiques qui s’affrontent… La logique éducative, centrée sur les individus, considère que l’école doit permettre à chaque enfant de se construire et de valoriser l’ensemble de ses potentialités, puis de choisir un métier en fonction de ses goûts, et d’acquérir des bases théoriques et pratiques valables à long terme, afin d’arriver bien armé sur le marché du travail. À l’opposé, la logique libérale, centrée sur la rentabilité immédiate, considère le travail productif comme une formation, et cherche à satisfaire les besoins économiques immédiats au moyen d’une main-d’œuvre flexible.

Pour installer une plate-forme technologique au lycée Dhuoda, il faut l’aval du Conseil d’Administration ; et comment faire avaler cette pilule libérale à certains militants syndicaux hostiles au MEDEF ? Le proviseur glisse, au tout dernier moment, ce point dans l’ordre du jour du CA. Personne ne sait de quoi il s’agit. Il explique simplement que la PFT est un dispositif pour aider les élèves de BTS à trouver des stages. Le vote est favorable. La PFT est inaugurée en grande pompe quelques mois plus tard. Les élus, étonnés, relisent le compte-rendu du conseil d’administration : le document affirme que le CA a validé une convention pour implanter la PFT.... Or ils n’ont jamais vu cette convention, ni n’en ont entendu parler. On voit ici l’attachement du proviseur à la transparence, au dialogue, à la démocratie et à la loi. Une plainte est d’ailleurs déposée pour « faux et usage de faux ». Le recteur et le proviseur vont donc s’acharner sur le plus virulent de leurs détracteurs : comme dans les mauvais westerns, l’un des élus au CA, le CPE Roland Veuillet, devient « l’homme à abattre ».

Comment casser du syndicaliste en cinq leçons

Le MEDEF et les fonctionnaires qui collaborent avec lui ne veulent pas implanter seulement leurs équipements industriels dans l’école ; au-delà des machines, c’est l’autoritarisme et l’arbitraire qui entrent dans l’Education Nationale. Petite présentation de la méthode « de Haro & Marois » pour museler un fonctionnaire syndicaliste :

Premièrement : quadriller le terrain, en montant un bataillon contre la personne visée. Il suffit de manipuler des individus naïfs ou serviles. Dans le cas de Roland Veuillet, très actif dans la grève des surveillants et aide-éducateurs de janvier 2003, il a suffi de faire croire aux grévistes que ce CPE mentait et les manipulait, et aux non grévistes qu’il était responsable de tous les dysfonctionnements découlant de la grève.

Deuxièmement : placer la bombe, en organisant un incident dans un secteur lié au travail de l’intéressé. Au lycée Dhuoda, ce sera l’internat. En pleine grève, la direction désorganise volontairement la surveillance des élèves internes, puis ferme l’internat, attisant la colère des parents d’élèves.

Troisièmement : allumer la mèche, en provoquant l’intéressé afin de trouver un prétexte à sanction. Le proviseur annonce à Roland Veuillet que les maîtres d’internat grévistes seront remplacés par des « maîtres au pair » (ces élèves majeurs ne sont pas salariés, et ne peuvent pas remplacer le personnel) : le proviseur hors-la-loi voulait tout simplement remplacer les grévistes par des bénévoles-forcés (en situation de dépendance par rapport à la direction), afin de casser la grève. Roland s’oppose à cette manœuvre illégale : il réclame un ordre écrit, que le proviseur refuse de lui donner.

Quatrièmement : la quarantaine. Afin d’être isolé et fragilisé, le CPE est mis à pied, en attendant le conseil de discipline. Motif officiel ? Le CPE refuse d’obéir à sa hiérarchie, porte gravement atteinte à la sécurité des élèves et perturbe la sérénité de l’établissement. Quelques rumeurs bien orchestrées viennent alors mettre également en doute son honnêteté. Mais que reproche-t-on au CPE ? Uniquement ses activités syndicales ! Comme le dossier est vide, quelques témoignages de complaisance viennent transformer le militant en grand méchant loup. Le personnel non titulaire du lycée, en particulier, a été très sollicité : difficile de résister à la pression, quand on risque de perdre sa place. La précarité rend les salariés dociles, c’est la raison pour laquelle le MEDEF déteste les fonctionnaires.

Cinquièmement : le procès en sorcellerie. Pour un recteur, il est facile de monter une cabale, surtout avec l’appui d’un proviseur. Un conseil de discipline n’est jamais public. Il est monté sur la base d’un dossier dont l’intéressé n’a aucune copie préalable. Le recteur rédige l’acte d’accusation, mène les débats, propose une sanction, rédige le procès-verbal, et tranche en dernier ressort : il est donc très simple de construire un dossier de toutes pièces, et de ne retenir, dans le procès-verbal, que les éléments à charge. C’est ce qu’a fait le recteur Marois. Quarante-huit omissions et trente déformations ont été comptées dans le PV de ce conseil de discipline. L’essentiel de ce qui était favorable à l’accusé a été « oublié ». Résultat des courses : mutation disciplinaire à Lyon. Derrière une procédure officielle qui semble encadrée et juste, et malgré la présence de représentants du personnel (dont l’avis est toujours consultatif), c’est l’arbitraire le plus complet.

Les cobayes se rebiffent

Le CPE se retrouve à 300 kilomètres de ses trois jeunes enfants. Double loyer, déménagement, frais de déplacement, la facture est lourde : c’est une forme d’amende sournoise, évaluée à 1000 euros par mois. La sanction est confirmée par le Tribunal Administratif, puisque toute la procédure écrite découle du dossier bidon rédigé par le recteur. C’est à la justice, maintenant, qu’il faut faire reconnaître que ce procès-verbal est un faux. Et lorsque l’administration refuse à Roland, un an plus tard, une mutation en retour, la sanction se trouve automatiquement doublée : Roland reste à Lyon. Il ne baisse pas les bras, et porte plainte devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, afin de faire reconnaître le caractère injuste des procédures disciplinaires dans la fonction publique française. Mais la pétition de soutien (plus de 5000 signatures), les appels intersyndicaux, les 5000 kilomètres d’arbitrairathons (marathons de protestation courus pendant chaque période de congés scolaires), et les 38 jours de sa grève de la faim n’y changeront rien. Le ministère refuse d’annuler la sanction et d’ouvrir une enquête administrative.

Au lycée Dhuoda, la campagne de dénigrement et la peur des sanctions ont muselé les collègues qui soutenaient Roland. Certains ont été poussés à muter, dont un adhérent de SUD éducation. Laurence Pennequin, enseignante élue au CA, choisit de rester et de soutenir son collègue. Elle devient, à son tour, la bête noire du proviseur qui sort la grosse artillerie : la chasse au syndicaliste est rouverte. Ici, il ne s’agit plus de mener une chasse à l’homme, mais une guérilla permanente, une série d’escarmouches quotidiennes : la technique de la guerre d’usure, très pratiquée dans le privé, et dont Laurence Pennequin n’est pas la première victime à Dhuoda.

Par mille petits signes d’apparence anodine, le proviseur renvoie en permanence à cette enseignante, qui a largement fait ses preuves en 25 ans d’enseignement), l’image d’une incompétente. Il gèle sa notation administrative pour quatre ans, ajoutant des appréciations dénigrant son travail : dans le discours du proviseur, l’enseignante irréprochable devient, du jour au lendemain, une idiote incapable. Il lui donne des instructions contradictoires, afin de mieux lui reprocher de ne pas faire son travail correctement. Il exhibe publiquement des documents confidentiels la concernant. Alors que Laurence bénéficie d’une autorisation spéciale d’absence, il manipule les parents d’élèves afin qu’ils organisent, dans le lycée, une manifestation contre elle et ses « absences scandaleuses ». Il la maintient en sous-service et refuse de lui confier des classes à examen. Il refuse également de la nommer professeur principal, pourrit son emploi du temps (lui confiant, par exemple, une classe réputée difficile quatre heures d’affilée le samedi matin). Il dégotte pour l’une de ses classes un enseignant supplémentaire, parachuté en cours d’année ; officiellement, c’est toujours pour aider Laurence, qui est censée avoir, tout à coup, mille difficultés professionnelles. La discrimination contre les militants se cache ici derrière les bons sentiments. D’ailleurs le recteur Marois, dans une brochure destinée, officiellement, à permettre aux chefs d’établissement d’aider le personnel en difficulté, a écrit un recueil de toutes les méthodes utiles pour casser des militants trop remuants. Et avec une telle pression, les collègues les plus compétents peuvent effectivement perdre les pédales. Une plainte est en préparation contre de Haro pour harcèlement moral, expertises médicales à l’appui.

Battons-nous contre la marchandisation de l’éducation !

Que s’est-il passé au lycée Dhuoda ? Détournement des moyens et du personnel de l’Éducation Nationale au bénéfice des entreprises, reconnaissance officielle du MEDEF comme partenaire institutionnel de l’école publique, soumission du service public aux potentats économiques les plus rétrogrades, autoritarisme, tentative de remplacement des grévistes par des élèves, bidouillage de documents administratifs, rédaction de faux procès-verbaux, intimidations, manipulations, menaces, pressions physiques et psychologiques, discrimination syndicale, chantage sournois au non réemploi des précaires, désorganisation volontaire de l’établissement, cabale, faux témoignages, mensonges, orchestration de fausses rumeurs, dénigrement systématique, harcèlement moral, mutation arbitraire… Voilà les méthodes d’un important recteur « de gauche » et d’un grand responsable d’un syndicat de chefs d’établissement. Voilà l’idéologie inculquée, petit à petit, dans l’école. Ces méthodes sont la traduction, dans le secteur public, de cette loi du plus fort qui reste le grand dogme du MEDEF.

Pour SUD éducation, l’entreprise n’est pas un modèle pour l’école ; l’école n’a pas pour objectif la rentabilité économique, mais le progrès social et humain des futurs adultes, et de la société entière. Ce progrès passe par la disparition de la précarité et de l’arbitraire, à l’école et hors de l’école. L’idéologie du MEDEF est aliénante, et elle s’oppose à la force émancipatrice de l’éducation. L’école laïque doit donc être maintenue à l’écart des pressions économiques (autant que des pressions religieuses). Les militants du lycée Dhuoda l’ont compris. Ils ont raison de se battre. SUD éducation participe à ce combat contre une vision purement économique de l’éducation. D’autres cas graves existent ailleurs, mais au lycée Dhuoda, des plates-formes technologiques au harcèlement moral, en passant par les sanctions arbitraires, c’est bien un système qui se met en place méthodiquement : la collusion entre le lobby du capitalisme le plus sauvage et des responsables du ministère de l’Éducation Nationale. Cette collusion repose sur une base idéologique claire : la gestion ultralibérale de l’éducation. Ce que nous apprend l’expérience menée au lycée Dhuoda, c’est que demain, si nous ne réagissons pas collectivement, ce sont les méthodes et les valeurs du MEDEF qui deviendront la norme dans toute l’Éducation Nationale ; avec toutes les conséquences désastreuses que cela entraînera pour les collègues, pour les élèves, et pour la société entière…

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